Les gouvernements locaux qui ont développé des politiques de droits humains au cours des dernières années disposent de connaissances, d'expertise et de capacités institutionnelles qui pourraient s’avérer particulièrement pertinentes pour faire face aux impacts socio-économiques de la crise COVID-19. L'approche fondée sur les droits a guidé la mise en œuvre de mesures spécifiques à cet égard chez certaines collectivités locales, y compris des actions spécifiques en matière de non-discrimination ou de protection des droits des groupes vulnérables. La Commissaire aux droits humains de la ville de Vienne, Shams Asadi, partage dans cet entretien quelques réflexions et principes directeurs pour une action des collectivités locales fondée sur les droits dans le contexte du COVID-19, à partir d’exemples de politiques mises en œuvre dans sa propre ville pendant la phase de quarantaine et au-delà.
Des politiques publiques inspirées par les droits dans le contexte du COVID-19
Selon la Commissaire aux droits humains de Vienne, Shams Asadi, les politiques locales visant à traiter les conséquences de la crise du COVID-19 peuvent trouver dans les principes fondés sur les droits un moyen significatif pour améliorer leur efficacité et favoriser la coresponsabilité des résidents et des acteurs sociaux. Pour ce faire, les gouvernements locaux peuvent prendre en compte au moins quatre principes, qui devraient être inscrits dans leurs efforts d'élaboration des politiques pendant la crise et au-delà : la transparence et la responsabilité, la non-discrimination et la participation de tous les résidents.
À cet égard, la Commissaire Shams Asadi a indiqué l’importance pour les décideurs et les communications officielles de rendre les preuves scientifiques qui sous-tendent les politiques de prévention et mitigation accessibles à tous les résidents. L'évaluation d’impact sur les droits humains devrait également être prise en compte dans la définition des priorités. Mme. Asadi a également mentionné comment plusieurs mesures appliquées en conséquence du confinement pourraient être discriminatoires, comme dans le cas de l'enseignement à domicile (si l'on considère la fracture numérique et le manque d'ordinateurs à la maison des enfants de familles aux moyens économiques limités).
Le cas de Vienne : transformation de l'administration municipale
Mme. Asadi a noté que la pandémie a frappé la plupart des villes avec une rapidité inattendue. Comme la principale priorité de Vienne était d'éviter une crise sanitaire, la ville a coopéré avec les autorités nationales pour faire appliquer localement toutes les mesures nécessaires à cet égard. Toutefois, la ville a mis en œuvre de mesures de son côté pour soutenir les résidents pendant la période de quarantaine, encourager à prendre en compte la coresponsabilité et la contribution proactive des habitants à la gestion de la crise.
À cet égard, certaines des interventions les plus cruciales de la ville ont été celles liées au droit à l'information. Mme. Asadi a noté que les communications officielles ne cherchaient pas à créer la peur, mais à encourager la coresponsabilité et à s'adapter aux besoins divers des résidents. Ainsi, la capitale autrichienne a mis en place une plateforme en ligne pour fournir aux résidents locaux toutes sortes d'informations utiles liées à COVID-19. Mandatée directement par le conseil municipal, cette plateforme a été traduite en 24 langues, la priorité étant “d'amener toutes les parties de la société au même niveau d'information”.
L'attention du public par la ville - qui est également gérée par le biais de l'application - a également été adaptée à la diversité linguistique de la ville, ce qui permet aux résidents de se sentir plus proches de leur municipalité au cours de cette période.
L'importance croissante des technologies numériques a été prise en compte comme un facteur important par la ville pendant la crise, non seulement en créant des applications dédiées, mais aussi en encourageant la numérisation des services municipaux pour assurer une continuité du service public y compris pendant les mesures de confinement. Selon Shams Asadi, “ces politiques sont également une forme d'inclusion sociale, car elles aident les collectivités locales à être pleinement accessibles à leurs résidents et à leurs besoins”. La plateforme en ligne de Vienne héberge également une section consacrée au soutien et à l’articulation des initiatives de volontariat, afin que les résidents puissent trouver des moyens d'apporter leur contribution.
Le cas de Vienne : soutenir les groupes en risque de vulnérabilité
L'expertise en matière de droits humains a permis à la ville d'apporter des réponses aussi efficaces que possible aux besoins de groupes particuliers, tels que les enfants, les personnes âgées, les sans-abri ou les femmes. Depuis le début du confinement, le conseil municipal a fait de la protection des droits de l'enfant une priorité, en soutenant par exemple l'achat de 5000 ordinateurs portables à distribuer aux enfants dont les familles n'ont pas les moyens de suivre un enseignement à domicile. Les écoles et les jardins d'enfants sont également restés ouverts pour aider les enfants qui ne bénéficient pas d'un environnement adéquat à la maison, et les services municipaux ont essayé de maintenir la communication avec les familles de tous les élèves de la ville.
« Il faudra rester vigilants face à la montée des groupes extrémistes qui pourraient capitaliser sur l'effondrement économique causé par l'épidémie. Cette tendance pourrait prendre la forme d’une aggravation des discours de haine et d’exclusion, plus à même de réapparaître dans le contexte de sociétés plus inégales et plus polarisées. Plus que jamais, les valeurs des droits humains peuvent aider à construire des ponts entre les institutions et les citoyens »
Shams Asadi, Commissaire aux droits humains de la ville de Vienne
Le droit au logement a également fait l’objet d’une attention particulière tout au long de cette période : Vienne a décidé de mettre un terme à toutes les expulsions et a étendu les programmes d'hébergement d'hiver jusqu'en août afin que toutes les personnes sans abri puissent avoir un hébergement et accès au services de base. Les unités d’hébergement ont également été adaptées pour empêcher l'expansion de COVID-19 en respectant par exemple les distances physiques nécessaires entre les bénéficiaires.
Étroitement liée à la question des sans-abri, la ville a maintenu une ligne d'assistance 24h/24 et 7j/7 pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Les services municipaux dédiés à la protection des victimes de violence intrafamiliale et le nombre d'unités disponibles dans les centres de protection des victimes ont été renforcés aussi, Mme. Asadi ayant noté que les données de la police montraient une augmentation inquiétante des épisodes de violence domestique tout au long de la période de quarantaine.
Penser au-delà de l'épidémie
La Commissaire a rappelé l’importance pour les gouvernements locaux de rester vigilants face à la montée des groupes extrémistes et xénophobes, qui pourraient capitaliser sur l'effondrement économique causé par l'épidémie. Dans le cas de l'Europe, cette tendance pourrait prendre la forme d’une aggravation des discours de haine et d’exclusion, plus à même de réapparaître dans le contexte de sociétés plus inégales et plus polarisées. Les villes, aux côtés d'autres sphères de gouvernement et de la société civile, devraient travailler ensemble pour combattre cette menace directe pour les démocraties européennes.
Plus que jamais, les valeurs des droits humains peuvent aider à construire des ponts entre les institutions et les citoyens pour construire des sociétés inclusives : “Les droits humains sont les valeurs auxquelles nous devons nous tenir et apprendre à travailler dessus au niveau local”. Elles peuvent aider à trouver des solutions aux conséquences socio-économiques de la crise et à protéger les groupes qui seront particulièrement touchés par celle-ci, comme les jeunes.
Comme cette crise a également mis en évidence la valeur essentielle des services publics, Mme. Asadi estime que nous devons désormais éviter les erreurs commises dans le passé et ne pas suivre des politiques qui débouchent sur plus d'austérité et qui remettent en cause les mécanismes fondamentaux de protection des droits humains, tels que les systèmes de soins et de santé universels.