L'accès à un logement adéquat est une condition essentielle pour jouir pleinement du droit à la ville. Cependant, les villes du monde entier sont encore confrontées à de nombreux défis qui empêchent le droit au logement de devenir une réalité pour tous les habitants. Tout au long de plus d'un demi-siècle de discussions mondiales sur la mise en œuvre du droit au logement, les gouvernements locaux ont joué un rôle de plus en plus important dans la définition de solutions pratiques. Aujourd'hui, ce sujet est devenu encore plus urgent, en raison de l'aggravation des impacts de la financiarisation du logement et de la crise mondiale du logement et des inégalités.
Cette section examine le rôle des gouvernements locaux dans la mise en œuvre du droit au logement. Elle fournit à la fois un contexte historique à propos des discussions sur le droit au logement, un cadre pour le développement de politiques du point de vue des gouvernements locaux et un glossaire des termes et concepts clés.
Le logement est un aspect essentiel de la vie locale. Plus que quatre murs et un toit, il représente un endroit où l'on peut se sentir chez soi, un environnement sûr où l'on peut jouir d'un niveau de vie adéquat et une plateforme permettant d'accéder aux services et aux possibilités qu'offrent les villes, de l'emploi et des services à la vie culturelle et aux loisirs.
Le logement est essentiel pour favoriser l'égalité socio-économique entre les habitants de la ville et l'inclusion sociale des groupes vulnérables. Trop souvent, cependant, le logement n'est pas traité selon ces prémisses, soit parce que le rythme de l'urbanisation est trop rapide pour fournir des solutions de logement adéquates pour tous, soit parce que le logement est souvent perçu comme une simple marchandise.
Les gouvernements locaux jouent un rôle central dans la politique du logement, bien qu'ils ne disposent pas toujours de ressources ou d'un environnement favorable pour développer des stratégies globales. Leurs compétences comprennent la planification urbaine et l'accès aux services de base tels que l'eau, l'assainissement et les transports publics. Ils sont souvent responsables des réponses à apporter pour assurer la prise en charge sociale des plus vulnérables, notamment les sans-abri ou les victimes d'expulsions.
Lorsqu'ils disposent de ressources suffisantes ou d'un environnement favorable, ils peuvent également élaborer des politiques de logement social ; dans d'autres contextes, ils ont également soutenu et contribué à développer des pratiques communautaires de réhabilitation de quartiers informels ou de logements coopératifs.
L'implication des collectivités locales dans la politique du logement remonte à plus d'un siècle, lorsque certaines d'entre elles ont commencé à développer leurs propres initiatives en matière de logement pour remédier au manque de logements adéquats dans les villes industrielles connaissant une croissance rapide.
Ces projets visaient à relever de nombreux défis auxquels les villes sont encore confrontées aujourd'hui - tels que le surpeuplement, le manque de planification et les inégalités - afin d'améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière, des pauvres et des migrants récemment arrivés dans la ville en quête d'opportunités.
Certains des exemples les plus avancés des politiques des collectivités locales de l'époque se trouvent à Vienne et à Londres, qui disposent encore aujourd'hui d'un important système de logement public local. À partir des années 1940, des initiatives pertinentes en matière de logement public ont déjà été développées dans d'autres parties du monde, du Mexique au Japon et des États-Unis à l'Australie.
Un exemple du parc historique de logements publics de Vienne © Bwag/Commons
La Déclaration universelle des droits humains (1948) a représenté une étape importante dans les discussions sur le logement, car elle a été le premier document international à reconnaître le logement comme une condition essentielle à la jouissance du droit humain à un niveau de vie suffisant.
Le droit au logement, tel qu'il est inscrit dans la Déclaration de 1948, a été ratifié par la plupart des États du monde, tandis que d'autres traités relatifs aux droits humains, tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), en ont élargi la compréhension et les implications et ont déclenché de nouveaux développements politiques autour le concept.
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »
Déclaration universelle des droits humains (1948)
Bien qu'il soit loin d'être pleinement mis en œuvre dans le monde entier, le droit au logement reste un concept important et spécifique, très pertinent dans les débats politiques. Ce concept à multiples facettes : à la fois un principe directeur et une responsabilité spécifique pour les gouvernements, qu’une norme internationale en matière de droits humains encore en développement et une demande concrète et légitime des résidents et des communautés urbaines.
Au cours des cinquante dernières années, trois conférences internationales - Habitat I (Vancouver 1976), Habitat II (Istanbul 1996) et Habitat III (Quito 2016) - ont réuni les pays du monde entier (ainsi que les gouvernements locaux et la société civile) pour élaborer des plans d'action visant à promouvoir l'urbanisation durable et le droit au logement.
Le travail des agences des Nations unies, notamment ONU-Habitat, a également joué un rôle important en aidant à développer l'agenda du droit au logement auprès des gouvernements et des plans de développement. Au sein du système des droits humains des Nations unies, les Rapporteurs spéciaux sur le logement convenable ont contribué à traiter les questions urgentes liées au logement - telles que l'informalité, les expulsions forcées ou le sans-abrisme - dans une perspective explicite de droits humains.
« Remplir leur fonction sociale, notamment en ce qui concerne les terres et l’environnement, en vue d’assurer progressivement : la pleine réalisation du droit à un logement convenable, en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant, sans discrimination ; l’accès universel et pour un prix abordable à l’eau potable et à des installations sanitaires sûres ; et l’accès pour tous, dans des conditions d’égalité, aux biens publics et à des services de qualité »
Nouvel Agenda Urbain (2016)
La financiarisation croissante du logement a été un élément clé des débats mondiaux sur le logement depuis la grande récession de 2008. Alors que l'offre de logements est de plus en plus déréglementée et que l'immobilier devient un actif spéculatif de premier ordre, l'accès à des logements adéquats et abordables est devenu encore plus complexe. De nouveaux défis liés au logement sont apparus ces dernières années, tandis que les anciens - comme l'amélioration des quartiers informels - sont restés sans solution. De nombreux acteurs parlent d'une "crise mondiale du logement".
Ce phénomène a conduit de nouveaux acteurs à se réapproprier la vision originale du droit au logement - de la société civile et des organisations de base aux gouvernements locaux. L'ancien Rapporteuse spéciale de l'ONU sur le logement adéquat, Leilani Farha, a lancé en 2016 la campagne phare The Shift qui a réuni des acteurs gouvernementaux et sociaux pour alerter sur les impacts de la financiarisation du logement sur la garantie des droits humains. La campagne a poussé à un changement radical dans la conversation mondiale sur le logement - du logement en tant que marchandise au logement en tant que droit humain.
« Les logements et les immeubles à usage commercial sont devenus les « produits de base de prédilection » des entreprises et des fonds financiers, qui s’emparent de ces biens dans de nombreuses villes à un rythme affolant. La valeur du marché de l’immobilier mondial avoisine 217 mille milliards de dollars − soit près de 60 % de la valeur de l’ensemble des actifs au niveau mondial − dont 75 % correspondent à des logement (...) Le secteur du logement est au cœur d’une transformation structurelle sans précédent concernant les investissements mondiaux et les économies du monde industrialisé, ce qui a des incidences majeures sur les personnes dépourvues d’un logement suffisant. »
Rapport A/HRC/34/51 de la Rapporteuse spéciale sur le droit au logement : droit au logement et financiarisation du logement (2017)
Lancement de la campagne "The Shift" lors du sommet Habitat III tenu à Quito (2018)
L'engagement spécifique des gouvernements locaux avec l'approche du droit au logement au sein de CGLU a commencé en 2016 avec l'adhésion au mouvement The Shift et à la campagne mondiale en faveur du droit à la ville lors du processus Habitat III. Les répercussions de la crise mondiale du logement ont rassemblé une coalition d'acteurs, des autorités locales aux agences des Nations unies en passant par la société civile, pour faire pression en faveur d'une approche renouvelée des politiques de logement, qui revendique avant tout leur fonction sociale et le rôle du public.
Entre 2017 et 2018, les gouvernements locaux de la CGLU-CISDPDH ont concrétisé leur engagement commun autour de la déclaration “Villes pour le logement convenable”, qui encadre le débat sur le logement dans une perspective de droits humains. La déclaration a été lancée par des maires du monde entier lors du Forum politique de haut niveau des Nations unies de 2018, recueillant le soutien de plus de 40 gouvernements locaux de CGLU. Elle a établi un engagement sans précédent des gouvernements locaux en matière de droit au logement au niveau mondial, et a défini un plan d'action basé sur la sensibilisation et l'implémentation.
« Nous, représentants des administrations locales, croyons fermement que toutes les personnes devraient avoir véritablement accès à un « logement convenable », considéré par les Nations Unies comme étant un logement qui répond aux critères suivants : «abordabilité », « sécurité d’occupation », « habitabilité », « existence de services, matériels, installations et infrastructures », « accessibilité », « emplacement » et « respect du milieu culturel ». Néanmoins, la spéculation immobilière, le logement à coût élevé, la réglementation inadéquate, la ségrégation socio-spatiale, l’insécurité d'occupation, les logements insalubres, le sans-abrisme, l'étalement urbain ou les extensions urbaines informelles privées des installations ou des infrastructures nécessaires, sont autant de phénomènes croissants qui menacent l'équité et la durabilité de nos villes. Compte tenu de cette situation, nous, les gouvernements locaux, ne pouvons pas rester en retrait et devons jouer un rôle central. Pour toutes ces raisons, nous appelons à l'action dans les domaines suivants. »
Déclaration Villes pour le logement convenable (2018)
Lancement de la déclaration "Villes pour le logement convenable" (2018)
Une façon d'encadrer l'accès au logement en se basant sur l'approche des droits de humains développée dans le droit international et national. Elle reconnaît que le logement doit offrir plus que quatre murs et un toit ; en fait, pour être considéré comme “convenable” ou "adéquat", le logement doit répondre aux critères suivants : sécurité juridique de l'occupation, accessibilité financière, habitabilité, disponibilité des matériaux, services, installations et infrastructures, accessibilité, emplacement approprié et adéquation culturelle.
Phénomène mondial marqué par le rôle croissant des marchés de capitaux et des entreprises sur le logement, considéré comme un véhicule d'investissement plutôt que comme un bien social. La financiarisation du logement atteint tous les coins du monde et a des effets massifs sur les systèmes de logement locaux, affectant la disponibilité et le prix des logements et des terrains - rendant ainsi le logement moins abordable pour la majorité de la population.
Un mode de développement et d'accès au logement dirigé par la communauté. Le logement géré par la communauté peut prendre de nombreuses formes différentes et implique souvent des acteurs de la société civile et même des gouvernements locaux ; cependant, il nécessite toujours un engagement clair et un rôle de gestion et de mise en œuvre par la communauté elle-même. Ce dispositif offre une alternative aux modes de fourniture, d'accès et/ou de réhabilitation des logements privés et publics, et permet généralement de disposer de logements plus abordables et adéquats à l’échèlle locale.
Une approche intégrée pour améliorer les conditions de logement et l'environnement bâti dans les quartiers informels ou précaires, ainsi que les conditions de vie de leurs habitants. Au-delà de l'amélioration du logement, il peut s'agir de mesures visant à sécuriser le régime foncier, à améliorer l'accès aux infrastructures et aux services, ou à stimuler le tissu social et économique. Les approches participatives dans ces processus se concentrent sur la reconnaissance des besoins des résidents et sur l'exploitation de leur capacité à conduire ce processus, tant au niveau de la conception que de la mise en œuvre et du suivi.