Le droit à la ville est devenu un concept central dans les débats sur la transformation sociale liée au processus d'urbanisation. Défini à l'origine par Henri Lefebvre comme une forme d'accès renouvelé à la vie urbaine (1968), les mouvements sociaux urbains et certains gouvernements locaux ont adopté ce concept comme une vision directrice à partir de laquelle ils exigent de profondes transformations de la gouvernance urbaine. Le droit à la ville peut aider à promouvoir un nouveau contact social basé sur une coopération renforcée entre les gouvernements locaux et les mouvements sociaux.
Cette section vous aidera à mieux comprendre comment et pourquoi les gouvernements locaux se sont engagés en faveur du droit à la ville au cours de la dernière décennie. Elle explore plusieurs idées émergentes et propositions d'action locale visant à promouvoir des villes plus inclusives et démocratiques.
Au cours des dernières décennies, de nombreux gouvernements locaux ont intégré le concept du droit à la ville lorsqu'ils ont abordé les défis de l'inclusion et de la participation. C'est le cas des inégalités sociales et territoriales entre les quartiers, des obstacles structurels à l'inclusion des groupes vulnérables, ou encore des effets de la financiarisation et des technologies numériques sur la vie urbaine.
Le droit à la ville offre à la fois une approche globale et critique à partir de laquelle analyser ces défis, ainsi qu'une opportunité de favoriser l'innovation politique et l'action coordonnée entre les acteurs, en travaillant main dans la main avec la société civile. Le droit à la ville appelle également à la pleine reconnaissance des contributions des résidents et des communautés de la ville, englobant des domaines tels que le logement coopératif, l'économie des soins, l'économie sociale et solidaire et les communs urbains.
Depuis le début des années 2000, le mouvement mondial pour le droit à la ville a rassemblé des types d'acteurs très différents pour promouvoir d'approches renouvelées des politiques urbaines. De nombreuses associations de base nt déjà reconnu le droit à la ville comme une opportunité de promouvoir des partenariats et des politiques alternatives.
En défendant l'idée qu'un autre monde est possible et qu'il commence dans la ville, les gouvernements locaux soulignent leur rôle dans la construction de villes plus inclusives afin de garantir que les agendas mondiaux ne laissent personne et aucun endroit de côté. Le mouvement pour le droit à la ville a joué un rôle de plus en plus important dans la définition et la mise en œuvre des agendas mondiaux sur le développement durable, proposant le droit à la ville comme une vision directrice en faveur d'une urbanisation inclusive.
Le concept de droit à la ville a été formulé par le philosophe français Henri Lefebvre dans son livre éponyme publié à la veille de Mai 68. Son analyse établissait une critique sans précédent de ce que nous identifions aujourd'hui comme la financiarisation de la vie urbaine. Il proposerait l'action collective et la participation à la co-création de l'espace urbain comme le moyen de faire face à cette situation. Il s'agissait de réaliser des villes plus justes où tous leurs habitants pourraient s'émanciper et mener une vie décente.
Plusieurs décennies plus tard, un autre théoricien social de renom, David Harvey (2003), s'appuiera sur l'analyse de Lefebvre, contribuant à rendre le concept de droit à la ville largement populaire, tout en proposant des moyens plus spécifiques par lesquels les mouvements sociaux pourraient donner un développement pratique au concept. Ce travail permettrait de relier le droit à la ville aux défis posés par l'urbanisation et d'inviter les mouvements sociaux à adopter ce concept pour y répondre.
« Le droit à la ville représente bien plus qu'une liberté individuelle d'accès aux ressources urbaines. C'est un droit de nous changer nous-mêmes en transformant la ville. Il s'agit en outre d'un droit collectif plutôt qu'individuel, puisque cette transformation dépend inévitablement de l'exercice d'un pouvoir collectif pour remodeler les processus d'urbanisation. La liberté de faire et de refaire nos villes, et nous-mêmes dans le processus, est, je dirais, l'un des droits humains les plus chers et en même temps les plus oubliés »
David Harvey en Social Justice and the City (2010)
Au début des années 2000, le droit à la ville inspirait déjà les mouvements sociaux du monde entier à formuler des demandes d'accès aux droits : la terre, la participation et les services de base. De l'Afrique aux Amériques, ils ont exigé la reconnaissance de ces besoins, ainsi que leurs propres moyens de concrétiser ces droits par l'action communautaire.
Au cours de cette période, les mouvements sociaux ont proposé de nouveaux concepts pour faire avancer le droit à la ville : la fonction sociale, les droits de l'habitat, les droits urbains ou les communs urbains. Certaines de ces contributions seraient même reconnues dans la législation et la pratique gouvernementale comme le Statut de la ville du Brésil (2001) ou la Charte de la ville de Mexico pour le droit à la ville (2010).
Les Forums sociaux mondiaux organisés au début des années 2000 ont servi de catalyseurs pour renforcer le dialogue entre la société civile et les gouvernements locaux sur la manière de promouvoir des modèles alternatifs de développement urbain et de mondialisation.
Dans ce contexte, les Forums des autorités locales pour l'inclusion sociale (FAL) ont été organisés pour la première fois, dans le but de fournir un espace spécifique de débat entre les gouvernements locaux et la société civile sur les questions d'inclusion sociale et de démocratie participative. Dans ce contexte, des politiques sur la diversité, l'inclusion des groupes vulnérables ou le budget participatif ont été présentées. Des débats politiques ont eu lieu pour imaginer un modèle alternatif de mondialisation construit à partir des territoires, par les gouvernements locaux et les communautés.
Les réseaux issus des Forums sociaux mondiaux consacreront une attention croissante au droit à la ville. Ils le feront en relation avec l'urbanisation de la pauvreté et de l'exclusion sociale, en soulignant comment la crise économique et budgétaire à laquelle sont confrontés de nombreux gouvernements locaux depuis 2008 a affaibli leurs capacités.
D'une part, les réunions du Forum des autorités locales de périphérie (FALP), telles que celles de Getafe (2010), Canoas (2013) et Morón (2015), permettraient d'aborder ces questions sous l'angle des inégalités socio-spatiales. Le FALP a réuni des territoires périphériques pour appeler à un développement métropolitaine polycentrique.
Réunion de la Commission Inclusion sociale et démocratie participative tenue en 2008 : Un groupe pionnier dans la promotion du droit à la ville au sein de CGLU.
D'autre part, la Commission de CGLU sur l'inclusion sociale, la démocratie participative et les droits humains organiserait les premiers séminaires des gouvernements locaux pour le droit à la ville - un à Saint Denis (2012) et un autre à Mexico (2015) - qui ont permis d'articuler une vision commune sur le droit à la ville des gouvernements locaux.
« Dans un monde où 1% de la population mondiale accapare 50% des richesses, les aires urbaines sont le creuset de tensions et d’inégalités insoutenables. Dans ce contexte, les gouvernements locaux et leurs habitants réclament de manière urgente le droit à la ville comme une approche nécessaire pour construire ce monde urbain de façon inclusive, juste, solidaire, démocratique et durable.. (...) Le Droit à la Ville est un droit individuel et collectif de toutes et tous les habitants, où le territoire des villes et ses alentours sont considérés comme des espaces d’exercice et de garantie des droits, afin d’assurer la distribution et le bénéfice équitable, universel, juste, démocratique et durable des ressources, richesses, services, biens et opportunités qu’offre la ville »
Déclaration finale du Séminaire international sur les gouvernements locaux pour le droit à la ville tenu à Mexique DF (2015)
En 2014, des représentants de la société civile et des gouvernements locaux se sont réunis à Sao Paulo pour créer la Plateforme mondiale pour le droit à la ville, qui allait devenir un acteur clé pour la promotion mondiale du droit à la ville dans les années à venir.
« Le droit à la ville est le droit de tous les habitants, présents et futurs, permanents et temporaires, d’habiter, d’utiliser, d’occuper, de produire, de gouverner et de disposer de villes, villages et établissements humains justes, inclusifs, sûrs et durables, définis comme des biens essentiels à une vie pleine et décente. Le droit à la ville est un droit collectif qui souligne à la fois le caractère global et interdépendant des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux internationalement reconnus, tels qu’ils sont réglementés dans les traités internationaux relatifs aux droits humains, tout en leur conférant une dimension territoriale et en portant une attention particulière à l’atteinte de niveaux de vie adéquats »
Plateforme mondial pour le droit à la ville
Les gouvernements locaux ont joué un rôle important dans le processus d'Habitat III, qui visait à élaborer un Nouvel agenda urbain pour le processus d'urbanisation des 20 prochaines années. CGLU (à travers la Global Taskforce) et la Commission CISDPDH, ainsi que la société civile de la Plateforme mondiale pour le droit à la ville, ont saisi cette occasion pour demander la reconnaissance officielle du droit à la ville : un concept qui n'avait pas encore été reconnu par un tel document international.
Le processus Habitat III a rassemblé les efforts de plaidoyer des collectivités locales et de la société civile au niveau mondial en faveur du droit à la ville.
Cette coalition a développé une stratégie de plaidoyer et de communication en lien avec les discussions tenues dans le cadre de la réunion COP21 à propos de la transition écológique (2015). Lors de la conférence finale d'Habitat III à Quito (2016), les gouvernements ont convenu d'inclure le droit à la ville dans le Nouvel agenda urbain, quelques jours seulement après que CGLU ait reconnu ce concept comme une pierre angulaire de son agenda politique à travers son Engagement et programme d'action de Bogota (2016).
« Nous partageons la vision de villes pour tous, c’est-à-dire de villes et d’établissements humains qu’utilisent leurs résidents sur un pied d’égalité, les objectifs poursuivis consistant à promouvoir l’intégration et à faire en sorte que tous les habitants, qu’ils appartiennent aux générations actuelles ou futures, puissent, sans discrimination aucune, vivre dans des villes et des établissements humains équitables, sûrs, salubres, accessibles, d’un coût abordable, résilients et durables et créer de tels lieux, de manière à promouvoir la prospérité et la qualité de la vie pour tous. Nous prenons note des initiatives qu’ont prises certains gouvernements et certaines administrations locales en vue d’inscrire cette vision, connue sous le nom de « droit à la ville », dans leur législation, leurs déclarations politiques et leurs chartes. »
Nouvel agenda urbain (2016)
Depuis 2016, le mouvement a concentré ses efforts à la fois sur le suivi des agendas mondiaux sur le développement durable, notamment l'Agenda 2030, que sur la mise en œuvre locale du droit à la ville. Les gouvernements locaux de CGLU et la Commission ont promu des actions communes dans des domaines tels que le droit au logement, l'inclusion sociale des migrants, la métropolisation, la démocratie participative, la transition écologique, l'économie sociale et solidaire et l'accessibilité.
À l'heure actuelle, le droit à la ville reste un cadre significatif qui permet d'encourager l'innovation politique, l'action collective et le dialogue avec la société civile afin de relever les défis urgents en matière d'inclusion sociale et de démocratie participative auxquels sont confrontées la plupart des villes du monde.
Lorsqu'elle est formulée en relation avec “la ville”, “le logement” ou “le foncier”, la fonction sociale agit comme un concept juridique et politique qui considère ces objets comme fondamentaux pour le bien-être des habitants. Elle donne une légitimité aux gouvernements et aux communautés pour agir en conséquence, le plus souvent en promouvant des réglementations qui tentent de concilier l'intérêt privé et le bien commun, ou qui tiennent compte des initiatives communautaires dans l'environnement urbain et la gouvernance locale.
Institution sociale gérée par les communautés afin d'assurer un accès équitable aux biens communs ou aux demandes existantes liées aux droits urbains par les habitants de la ville, comme l'amélioration et la réhabilitation de l'habitat, l'aide sociale ou les équipements culturels et sociaux. Elle se définit par la gestion non lucrative des ressources et des services fournis, normalement gérée de manière démocratique. Les communs urbains proposent un modèle de gestion alternatif qui ne repose ni sur l'intervention publique directe ni sur l'intérêt privé.
Une vision de la gouvernance métropolitaine qui reconnaît l'existence d'inégalités socio-spatiales et propose des moyens de les inverser en se fondant sur la promotion d'un développement urbain inclusif sur le plan spatial et territorial. À cette fin, elle encourage le développement et la participation de toutes les zones urbaines, y compris les quartiers et les villes périphériques, afin que les opportunités soient accessibles à tous les habitants de la ville et que leurs besoins, trajectoires et contributions soient pleinement reconnus.
S'inscrivant dans le contexte des systèmes démocratiques locaux, il propose un modèle d'organisation politique fondé sur la création de mécanismes institutionnels permettant aux habitants de participer de manière cohérente et fréquente à la gestion des affaires publiques de la ville. Au-delà de la multiplication des canaux d'influence et de l'encouragement à la participation des résidents, cette vision vise à rendre l'administration locale plus transparente et à promouvoir et reconnaître l'organisation communautaire et les initiatives civiques.
Une vision directrice pour un modèle économique et social alternatif qui répond à l'urgence climatique et à la perte de biodiversité. Il propose une feuille de route pour la durabilité axée sur la transformation des habitudes de production, de consommation et de vie. À long terme, elle offre des pistes très concrètes sur la manière de construire des sociétés résilientes, sans carbone, qui soient également équitables, inclusives et solidaires.
Une façon de comprendre l'économie qui donne la priorité aux besoins des personnes et aux critères éthiques sur le profit financier. Elle englobe un vaste ensemble d'initiatives communautaires guidées par des valeurs d'inclusion, de durabilité, d'auto-organisation démocratique et de responsabilité sociale qui visent à favoriser la transformation sociale.