24/02/2021

Voix et perspectives locales sur le mouvement indonesien des villes pour les droits humains

(* Ce rapport a été élaboré grâce à notre  collaboration avec INFID / Source photos: INFID et KOMNAS HAM)

Au cours des dernières années, de nombreux acteurs locaux et nationaux en Indonésie ont joué un rôle de plus en plus important dans les discussions mondiales sur l'agenda des villes pour les droits humains. Prenant la tête de la consolidation du mouvement dans la région Asie-Pacifique avec d'autres acteurs du Forum mondial des villes pour les droits humains - WHRCF de Gwangu (Corée du Sud), la contribution indonésienne a joué un rôle tout aussi important au niveau mondial, permettant d'élargir le niveau de reconnaissance par l’ONU du rôle des gouvernements locaux dans la protection et la promotion des droits humains.

Comment ce niveau d'initiative internationale est-il lié aux réalités locales en Indonésie même, et quels exemples de politiques publiques innovantes peut-on trouver parmi les plus de 500 régences (kabupaten) et villes (kota) de l'archipel ? Le présent rapport apporte un éclairage sur ces questions, sur la base de l'expérience des gouvernements locaux et des partenaires de la Commission en Indonésie.


En Indonésie, la coopération entre acteurs gouvernementaux et sociaux a été clé pour promouvoir un plus grand engagement local en faveur des droits humains

Les origines du mouvement des villes pour les droits humains en Indonésie remontent à près d'une décennie, lorsque plusieurs gouvernements locaux et défenseurs des droits de cette nation insulaire ont participé au Forum WHRCF tenu à Gwangju. À l'époque, ces pionniers ont identifié le concept de « ville des droits humains » comme une opportunité de consolidation des droits humains à travers d'une approche territoriale et une vision à long terme. Cela a également pris en compte la consolidation croissante de la démocratie locale après la chute du régime autoritaire qui a dirigé l'Indonésie jusqu'à la fin du siècle dernier.

En fait, le mouvement des villes indonésiennes pour les droits humains partage avec celui de la Corée du sud le fait d'avoir gagné en consolidation territoriale presque parallèlement aux processus de démocratisation qui ont eu lieu pendant la même période. Il y a donc eu une convergence positive entre la nouvelle démocratie locale et des formes d’activisme et travail associatif à forte implantation territoriale.

Cet agenda, qui constitue un bon exemple de coopération efficace entre les acteurs sociaux et gouvernementaux, a été soutenu dès le début non seulement par la société civile, mais aussi par les acteurs nationaux qui ont relayé le leadership politique des dirigeants locaux. Depuis les années 2000, le gouvernement national indonésien a mis en place un programme fort de décentralisation, également lié aux questions de droits humains. Le rôle de la Commission nationale des droits humains (KOMNAS HAM) et du Plan d'action national pour les droits humains (RANHAM) a été essentiel à cet égard. Depuis les années 2010, ces mécanismes ont permis de structurer des nouvelles stratégies nationales et de sensibiliser un certain nombre de gouvernements locaux pour qu'ils développent leurs propres initiatives.

La contribution des organisations de la société civile, telles que le Forum international des ONG pour le développement indonésien (INFID), a également été essentielle, tant pour promouvoir le concept de ville des droits humains dans tout le pays que pour soutenir l'élaboration de politiques publiques au niveau des ville et des régences (régions). Concernant le premier aspect, INFID a organisé, annuellement et avec d'autres acteurs tels que KOMNAS HAM, un Festival national des droits humains (Festival HAM) qui a rendu le concept de ville des droits humains largement populaire tant auprès des autorités locales que des défenseurs des droits humains.

En ce qui concerne le second, la participation de la société civile à la définition des stratégies locales en matière de droits humains garantit que ces processus adoptent des méthodologies participatives, répondent aux besoins de tous les habitants, que les fonctionnaires locaux sont bien formés et que leurs actions sont coordonnées avec les initiatives existantes sur le terrain.

Priorités thématiques et exemples de politiques locales

Le développement des politiques locales en matière de droits humains par les gouvernements locaux indonésiens se caractérise par la grande diversité des priorités thématiques abordées. Une approche souvent développée consiste à favoriser, à travers cette vision, la pleine citoyenneté et la coexistence, ainsi qu'à prévenir les sources d'intolérance et d'extrémisme par le biais du dialogue social et des campagnes publiques. De nombreuses autres autorités locales ont développé un intérêt plus spécifique pour les droits sociaux et économiques, en ciblant les plus pauvres ou les plus défavorisés par le biais d'initiatives éducatives ou d'économie sociale.

Nombreux gouvernements locaux ont élaboré également des politiques liées à ces efforts dans le domaine de l'égalité des sexes.

La ville de Palu (391.383 habitants) s'est concentrée sur l'accès au droit à la réparation pour les victimes de violations passées des droits et sur la prise en compte de la mémoire historique locale en vue de favoriser la coexistence et l'égalité des droits dans le présent. Palu a sa propre Déclaration de Ville des droits humains (2013) dans laquelle il s'engage à mettre en œuvre des mesures de non-discrimination et à protéger les droits des minorités.

Bojonegoro (1.301.635 habitants) a suivi un chemin similaire en termes de résolution de conflits, par la récupération de la mémoire et la promotion de la non-discrimination. L'établissement de règlements de district et le renforcement du dialogue social ont été essentiels. Le cas de la province d'Aceh (5.459.891 habitants) est un autre bon exemple de la manière dont les gouvernements régionaux en Indonésie ont joué un rôle clé dans la promotion des initiatives en faveur de la réconciliation.

[ En savoir plus : La Commission participe au Festival HAM 2019 tenu à Jember ]

D'autres villes et régences ont accordé une attention plus spécifique à la question des droits sociaux et économiques. Jember (2.536.729 habitants) a redoublé les dépenses sociales (nouvelles bourses, nouveau service d'ambulance, soutien à l'économie sociale) afin de favoriser l'accès à l'éducation, à la santé et à l'emploi des plus pauvres. Ce type d'intervention a également été mené dans d'autres localités, telles que Bogor (1.096.828 habitants), Serdang Bedagai (642.824 habitants) et Pakpak Bharat (48.119 habitants).

Wonosobo représente un exemple avancé d'institutionnalisation des politiques publiques

Un gouvernement local pionnier dans l'adoption de cette vision en Indonésie est sans aucun doute celui de Wonosobo : une régence située dans le centre de Java avec une population de 790.491 habitants répartis sur quinze districts. Le Wonosobo représente un territoire diversifié, comprenant à la fois des zones urbaines et rurales ainsi que diverses minorités religieuses et ethniques. Il présente un taux de pauvreté légèrement supérieur à la moyenne nationale. Depuis plus de 7 ans, les dirigeants locaux de ce territoire travaillent avec la société civile pour développer leur propre modèle de ville des droits humains, basé précisément sur le renforcement du caractère déjà ouvert, diversifié et inclusif du territoire à travers la vision de villes des droits humains.

Comme dans d'autres territoires, la prévention de l'intolérance a été une priorité essentielle pour les autorités locales de Wonosobo, mais aussi le renforcement des politiques d'inclusion sociale.

Le processus d'institutionnalisation de cette vision a été caractérisé par l'engagement actif des dirigeants et des fonctionnaires locaux, ainsi que par la large participation de la société civile et des défenseurs des droits. La création d'une loi régionale sur les droits humains et d'un groupe de travail sur les droits humains a donné le coup d'envoi du processus en 2016.

Comme les déclarations locales et les observatoires mis en place par d'autres villes des droits humains dans d'autres parties du monde, ces deux mécanismes (la loi régionale et le groupe de travail) ont permis de commencer à mobiliser des ressources publiques et de définir une stratégie territoriale spécifique. Elle se concentrerait sur les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les personnes âgées et l'environnement.

Ce processus a rapidement conduit à la création d'une Commission régionale des droits humains (2018) l'année même où Wonosobo a accueilli le festival HAM. Cette nouvelle institution a rehaussé le débat sur les droits humains au niveau législatif, tout en facilitant l'accès aux moyens de mener des campagnes, des événements de sensibilisation et d’initiatives de renforcement des capacités au niveau local. Le groupe de travail conserverait son rôle de coordination au sein de l'administration publique locale, en assurant la liaison avec le bureau du régent et en traitant directement les demandes des résidents.

Depuis sa création, le groupe de travail est composé de représentants de l'administration locale ayant une bonne connaissance des droits ainsi que du travail des militants sur le territoire.

En raison de la crise COVID-19, la stratégie de Wonosobo a dû s'adapter aux nouvelles circonstances et aux défis sans précédent posés par la pandémie. L'une des innovations qui sera bientôt lancée à Wonosobo à cet égard est le Human Rights Complaint Tool (Outil de suivi des droits humains), qui fournira à tous les résidents un canal direct pour signaler les violations ou demandes d’accès aux droits humains (service de base, discrimination, éducation) directement aux autorités locales. Ce canal profitera des technologies numériques et des espaces physiques dans toute la Régence. En bref, la communauté dispose d'un nouvel outil pour surveiller la situation des droits humains

Contribuer aux débats du mouvement mondial

La contribution indonésienne a été essentielle pour consolider le même mouvement au niveau mondial : de la participation à la dynamique de travail en réseau développée dans le cadre du WHRCF aux processus de reconnaissance entrepris dans le cadre du Conseil des droits de l'homme de l’ONU. Cette contribution a été rendue visible grâce aux interventions actives des gouvernements locaux et des acteurs nationaux tels que la KOMNAS HAM, divers ministères et la Mission permanente de l'Indonésie à Genève.

La participation d'ONG telles qu'INFID et d'autres défenseurs des droits humains a permis d'élargir encore le panorama et la collecte des voix indonésiennes dans ce processus.

En perspective, cette contribution a mis à la disposition du grand public une foule de ressources qui peuvent soutenir le développement de villes des droits humains dans le monde entier. Cela inclut des outils d'apprentissage et de renforcement des capacités, ainsi que des liens et dynamiques de travail en réseau établis avec des activistes et entrepreneurs régionaux et mondiaux des droits humains. Dans les années à venir, on espère que cette grande diversité de voix indonésiennes continuera à apporter une contribution cruciale à la définition de nouveaux horizons pour le mouvement.

En savoir plus sur le mouvement des villes des droits humains indonesien :