30/08/2023

Interview #DroitsHumains75 avec la Direction des services des droits des citoyen.ne.s de Barcelone : promouvoir l'accès à la justice en tant que droit humain

Dans le cadre de l'initiative « Droits Humains 75 » visant à commémorer le 75e anniversaire de la Déclaration universelle, la Commission Inclusion sociale, démocratie participative et droits humains de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU-CISDPHR) interviewe Anabel Rodríguez Basanta, directrice de la Direction des services des droits des citoyen.ne.s de Barcelona, sur son travail pour garantir le droit humain à l'accès à la justice, axe thématique du mois d'août défini par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme.

Vous pouvez regarder cette interview en entier ici (disponible uniquement en espagnol).

 

 

1. Pouvez-vous nous parler de la direction des services des droits des citoyen.ne.s ?

La direction des services des droits des citoyen.ne.s est une unité du conseil municipal de Barcelone qui, avec d'autres, travaille à la promotion de l'approche des droits humains, ainsi qu'à la mise en place de mécanismes visant à garantir les violations des droits humains, en particulier en termes de non-discrimination.

 

2. Pourquoi promouvoir l'approche des droits humains dans la ville de Barcelone ?

Dans la ville de Barcelone et dans toutes les villes. L'approche des droits humains n'est rien d'autre qu'une norme de qualité : quels sont les droits fondamentaux minimums que tout être humain possède en vertu de son statut de personne, et elle permet de comparer ou de mesurer la qualité des politiques et de l'action publique. Et de le faire, de surcroît, d'une manière non éthérée, car parfois, lorsque nous parlons des droits humains, nous avons l'impression qu'il s'agit de questions générales ou peu terre-à-terre. D'autre part, l'approche des droits humains permet de mesurer la qualité des services publics et privés, ainsi que l'accès aux droits fondamentaux. L'approche par les droits humains est donc aussi une norme qui devrait guider les autorités publiques dans la définition des politiques et du modèle de ville que nous voulons, une ville qui place les citoyen.ne.s au centre de ces politiques et de ce modèle de ville.

 

3. Quelle est l'importance de l'autorité locale dans la promotion des droits humains ?

L'autorité locale est celle qui a le contact le plus direct avec les citoyen.ne.s et qui est donc plus consciente des effets des limitations que les citoyen.ne.s doivent développer. Par conséquent, les autorités locales ou les gouvernements ont ce contact avec la réalité sociale qui les rend plus conscients et plus sensibles aux vulnérabilités de la population. Ils ont également la capacité, qui n'est pas infinie, de remédier aux vulnérabilités, et ils ont aussi la capacité limitée d'influencer et d'élever leur voix pour demander aux autorités supra-locales de définir des cadres juridiques et des politiques publiques qui contribuent à inverser les violations des droits humains.

 

4. Que faudrait-il aux autorités locales pour mieux promouvoir les droits humains ?

En commençant par l'approche générale, les villes doivent être plus conscientes du rôle qu'elles peuvent jouer dans la défense des droits humains, s'engager davantage, en gardant à l'esprit qu'il ne s'agit pas d'un bien éthéré et abstrait, mais que les modèles de défense des droits humains nous permettent de mesurer réellement la qualité des politiques et l'attention accordée aux citoyen.ne.s. Il est nécessaire d'accroître la sensibilisation et l'engagement à l'égard de l'importance de l'approche des droits humains. Surtout, nous avons besoin de plus d'alliances entre les villes afin d'avoir une voix forte pour pouvoir analyser conjointement les conséquences que les modèles économiques et sociaux mondiaux apportent au niveau local, ainsi que pour pouvoir faire des propositions de changement et de cadres législatifs et des propositions d'amélioration des ressources. Il est très important de pouvoir générer beaucoup d'alliances et de force au niveau local.

 

5. Quel est le lien entre la promotion des droits humains et la garantie d'une justice citoyenne ?

Notre département n'est pas le seul à travailler au sein de la mairie de Barcelone pour promouvoir les droits humains. Nous avons une unité qui travaille pour l'engagement de l'Agenda 2030 et les Objectifs de développement durable, et c'est un engagement très important de la ville. Nous avons également le secteur de la justice globale qui travaille dans la perspective de la coopération internationale, en établissant de nombreuses alliances et collaborations avec des villes ; il travaille également pour impliquer et sensibiliser les citoyen.ne.s à une vision globale qui prend en compte les droits humains, c'est-à-dire pour faire prendre conscience aux citoyen.ne.s et aussi aux autorités de Barcelone que notre modèle de vie a un impact sur le modèle économique et social au niveau mondial et vice-versa. Il s'agit d'un modèle de justice sociale appliqué à la gestion de l'énergie et de l'écosystème, par exemple.

En particulier, la direction des services des droits des citoyen.ne.s travaille davantage sur les mécanismes de promotion des droits humains dans les services municipaux et sur les mécanismes de non-discrimination et d'égalité. Afin d'appliquer l'approche basée sur les droits humains au niveau municipal, nous disposons de guides méthodologiques qui expliquent comment un service municipal ou un programme d'action peut appliquer l'approche basée sur les droits humains, c'est-à-dire rendre son service plus accessible aux citoyen.ne.s, en faisant des citoyen.ne.s un sujet de droits et pas seulement une personne à servir. Nous disposons d'outils méthodologiques pour appliquer cette approche au niveau technique. Il existe également un programme de formation pour accompagner cette application dans les services municipaux.

Nous avons aussi l'Office pour la non-discrimination (OND), qui est un service de référence au niveau européen et international. Nous avons plusieurs initiatives très intéressantes de travail collaboratif entre l'OND et les organisations de la société civile pour la défense des droits, comme le service pour les victimes de discrimination et le rapport de l'Observatoire des discriminations. En 2022, il a lancé le premier plan Pour une Barcelone antiraciste, qui, pour la première fois, se concentre sur la sensibilisation et l'inversion de l'axe d'oppression basé sur la racialisation.

 

6. Quels sont les groupes sociaux sur lesquels vous vous concentrez habituellement ?

Nous travaillons avec les groupes qui souffrent le plus des violations des droits humains. Les personnes en situation irrégulière ont un accès très limité aux droits fondamentaux. Par exemple, l'année dernière, nous avons mené une campagne de sensibilisation et de revendication du droit à l'ouverture d'un compte de paiement de base. Toutes les institutions financières ont l'obligation d'ouvrir un tel compte de paiement de base pour les personnes qui ne remplissent pas les conditions d'ouverture d'un compte de paiement normal. C'est un droit qui est particulièrement nécessaire pour les personnes en situation irrégulière et c'est un droit fondamental parce qu'aujourd'hui les paiements sont essentiellement électroniques, tant le revenu reçu d'un salaire, d'un revenu, d'une prestation sociale, que les paiements à effectuer sont déjà 100 % électroniques. Le fait de ne pas avoir de compte bancaire est donc un élément clair d'exclusion financière et sociale. Nous travaillons également activement sur le droit au registre.

Nous travaillons sur tous les domaines de la discrimination : en particulier la discrimination fondée sur les différentes caractéristiques de la personne, qu'il s'agisse de racisme, de LGTBIphobie, de capacitisme, d'aporophobie, de santé, avec une attention particulière pour la santé mentale.

 

7. D'autres exemples de travaux que vous avez menés pour garantir les droits humains et qui font sens dans la vie quotidienne des personnes ?

L'année dernière, au Bureau des entités de services aux victimes, dans le cadre de l'Observatoire des discriminations, qui produit un rapport chaque année depuis 2018, nous avons travaillé sur la non-discrimination dans la perspective large de l'accès aux droits humains. En particulier, nous avons travaillé sur les limites de l'accès à la justice, qui est un droit humain, mais aussi un droit qui permet matériellement de réaliser et de garantir d'autres droits. 

Il existe de nombreuses limites dans tous les domaines de la discrimination, et pour de larges groupes de citoyen.ne.s, il y a des difficultés d'accès à la justice, entendue au sens large, à la fois pour déposer une plainte et pour que cette plainte aboutisse devant les tribunaux, ainsi que dans le fonctionnement des tribunaux, de sorte que le jour du procès, les gens aient réellement connaissance, conscience et accès à la justice qui est rendue. Nous avons travaillé sur cette question avec une série de recommandations. D'abord, mettre en évidence les limites ; cet exercice est utile parce que les entités de chaque axe de discrimination expriment les limites. Par exemple, les personnes atteintes de surdité ont beaucoup de difficultés à suivre les audiences des tribunaux et il y a encore beaucoup de travail à faire pour améliorer l'accessibilité dans tous les sens dans les tribunaux. 
 

8. Pourquoi est-il important de garantir l'accès à la justice ?

Nous avons des sociétés dans lesquelles, malheureusement, les droits sont violés quotidiennement par des acteurs privés et publics. Il existe des services municipaux, comme le Bureau pour la non-discrimination, qui peuvent aider à accompagner ces processus, mais il est nécessaire d'avoir des mécanismes de garantie administrative. Les mécanismes de justice administrative permettent, en cas de violation, de rétablir les droits des personnes et de restaurer la confiance de la population dans le système. Le pouvoir de sanction administrative est également un mécanisme de garantie, mais il y a aussi des limites à son accès. Il n'est pas toujours facile pour l'administration de sanctionner les comportements discriminatoires. Le déploiement des mécanismes de justice et des pratiques réparatrices au sein de l'administration est encore loin d'être acquis. Il y a des expériences très positives, mais elles doivent encore être renforcées.

Dans l'administration traditionnelle de la justice, il est essentiel d'avoir accès à des mécanismes de reconnaissance d'une violation et de réparation d'un préjudice, qu'il soit pénal, civil, social ou administratif. Il est important d'accompagner ces processus en trois phases : avec une justice gratuite, c'est-à-dire avec un avocat, et avec la garantie que si vous avez réellement subi une violation, vous recevrez une sentence favorable condamnant la personne qui a violé vos droits. Il n'y a pas de droit s'il n'y a pas de garantie des droits, c'est pourquoi l'accès à la justice est essentiel. C'est pourquoi il est si frustrant de voir les obstacles constants auxquels les gens sont confrontés, en particulier ceux qui ont une capacité économique moindre, pour pouvoir, à la fin d'un processus, constater que leurs droits ont été violés.

 

9. À quel type de coopération internationale la direction des services des droits de la citoyenneté aspire-t-elle pour mieux promouvoir les droits humains dans le domaine de la justice ?

Nous travaillons avec des réseaux internes européens et internationaux qui dénoncent les situations de discrimination et cherchent des formules pour garantir ces droits dans les questions de lutte contre le racisme et de défense des droits en général. Il est très important de créer des alliances entre les villes afin d'accroître la sensibilité et l'engagement dans la défense des droits et d'échanger les bonnes pratiques. Barcelone n'est pas la seule ville à pouvoir partager des bonnes pratiques ; il existe de nombreuses villes petites et moyennes qui sont extrêmement innovantes et qui cherchent des moyens de défendre les droits.

Les contacts et les échanges techniques entre les villes sont très enrichissants et il est très important de créer des alliances pour pouvoir faire entendre la voix des autorités et des gouvernements locaux. Dans le cas des villes européennes, les politiques nationales sont fortement influencées et déterminées par les politiques définies au niveau européen et il est essentiel que les villes, avec la sécurité de la défense des droits humains et de la non-discrimination, puissent définir diverses propositions pour demander d'autres politiques ou pour adapter les politiques dans le sens où elles sont nécessaires sur le territoire.

 

10. Et comment se matérialise cet échange de pratiques, nécessaire pour que Barcelone puisse aussi apprendre des autres villes ?

Nous faisons partie de réseaux de villes. Les échanges bilatéraux, les conférences, les rapports, les résultats, les groupes de travail sont également importants. Nous identifions des groupes de travail monographiques sur des questions auxquelles nous avons participé, par exemple l'islamophobie, afin d'identifier les bonnes pratiques et les recommandations au niveau local.

 

12. Quel message souhaiteriez-vous adresser aux membres du Comité ?

Je voudrais féliciter CGLU pour la campagne mondiale 10, 100, 1000 villes et territoires des droits humains. Il est très important de continuer à aller de l'avant avec cette campagne, de continuer à questionner et à susciter l'intérêt des villes pour la défense des droits humains. La campagne est un outil utile dans la pratique de la définition des villes et des politiques publiques, et en tant qu'instrument, nous devons continuer à progresser dans sa mise en œuvre.