Cinq ans après le lancement de son projet local fondé sur la défense des droits humains, Vienne est devenue un exemple inspirant d’une « Ville pour les droits humains » en Europe et au-delà. À l’heure actuelle, la ville dispose d’un ensemble de politiques, d’institutions et de lois locales qui promeuvent activement, et de façon transversale, les droits humains au sein de l’action municipale.
La Commissaire aux droits humains de Vienne, Shams Asadi, a participé en octobre dernier au Forum mondial des villes pour les droits humains 2018 (WHRCF) de Gwangju afin de présenter les initiatives de sa ville. À cette occasion, nous l’avons interrogée sur la vision portée par la Ville sur la mise en œuvre locale des droits humains mais aussi en tant que message fort à porter à l’échelle internationale.
Q1 : Quand et comment le processus pour devenir une « Ville des droits humains » a-t-il été lancé ?
En 2013, la Ville de Vienne a organisé la Conférence « Vienne +20 »*. Un an plus tard, en décembre 2014, le conseil municipal de Vienne a approuvé la déclaration « Vienne, ville des droits humains ». Cette déclaration a conduit à la création d'un Bureau des droits humains en 2015, qui a permis de mieux faire connaître l'engagement de Vienne en matière de droits humains, tant auprès de ses citoyens qu’au sein de l’administration. Dès lors, le Bureau s’est chargé de coordonner les programmes relatifs aux droits humains et de défendre la dimension transversale dans l’action de la ville. Cette déclaration a donné à notre Bureau des objectifs et un cadre d’action. Suite à la publication du Rapport autrichien GRETA 2015, le conseil municipal nous a confié la mission de travailler sur la traite des êtres humains au niveau local.
Q2 : La lutte contre les discriminations est-elle une priorité au sein des politiques publiques ?
Nous avons une loi sur la non-discrimination fédérale (Vienne est une province et une ville) qui nous fournit un cadre juridique sur ce sujet. Cette loi reconnaît plusieurs motifs de discrimination – âge, orientation sexuelle, genre, appartenance ethnique, religion ou conviction, handicap, maternité – et permet aux citoyens qui pensent avoir été discriminés par l’Administration de lancer une procédure juridique. Cependant, nous offrons gratuitement un service préalable de médiation afin d’éviter le recours au tribunal.
Ce service comprend notamment des compensations pour les victimes de discrimination. En vingt ans, la prévention de la discrimination a été l’un des principaux objectifs de notre gouvernement.
Q3 : Quelles actions menez-vous pour favoriser l'inclusion sociale et pour cibler les besoins spécifiques de groupes tels que les migrants, les femmes ou les personnes âgées ?
Les besoins sont très différents d’un groupe à l’autre et évoluent dans le temps. Nous essayons de proposer une pluralité de mesures et de nous adapter aux réalités : par exemple, les travailleurs migrants qui sont venus à Vienne au cours des années soixante sont maintenant à la retraite et ont de nouveaux besoins spécifiques (soins en maison de retraite, assistance sanitaire…).
L'immigration plus récente couvre des réalités très différentes : certaines personnes sont venues pour étudier, d'autres pour travailler… Les besoins diffèrent d'une communauté à l'autre. Par exemple, la plus grande communauté de migrants à Vienne vient d’Allemagne ; ainsi, leurs besoins sont complètement différents de ceux d’autres migrants qui ont besoin d'apprendre l'allemand.
Dans le cas de cours de langue, la perspective de genre doit également être prise en compte : qui assistera au cours ? Y a-t-il un besoin de garde d'enfants ? Ensuite, il faut proposer des cours ciblés à partir des différents cas. Il est important pour nous de ne pas aborder les migrants comme un groupe homogène.
Au cours des dernières années, nous avons lancé le projet d'inclusion sociale « Start Vienna » à travers lequel nous essayons d’offrir des pistes d'intégration adaptées aux situations personnelles. Si un migrant avec une formation et/ou des compétences spécifiques vient à Vienne, nous lui fournirons le soutien nécessaire pour lui permettre de poursuivre sa carrière.
Le potentiel de la migration est assumé pleinement par notre ville.
Q4 : Vienne s’engage résolument en faveur du logement social et examine les besoins spécifiques de certains groupes les plus vulnérables, comme les sans-abris, dans une optique de protection des droits humains. Pourquoi est-il important de lier l’enjeu des droits humains et de l’accès au logement ?
Nous sommes particulièrement conscients de l’importance du logement, notamment dans une ville en pleine croissance comme Vienne où l’espace est limité. Notre municipalité souhaite mettre en œuvre des mesures garantissant l'accès de tous nos résidents à un logement, conformément à sa tradition d’accueil et de logement depuis plus de 100 ans.
Vienne a des initiatives reconnues en matière de logement social – la Ville possède environ 222.000 logements sociaux sur une population de 1,8 millions d'habitants – et offre également des subventions pour accéder au logement. Enfin, l’Autriche dispose d’une loi nationale sur les locataires qui nous aide à réglementer le marché privé.
« De mon point de vue, la mise en œuvre des droits représente la défense de l’égalité et de la dignité pour tous. Les valeurs des droits humains sont pour tout le monde et nous aident à vivre ensemble et à respecter chacun d’entre nous »
Shams Asadi, Commissaire aux droits humains de Vienne
Malgré toutes ces initiatives, il persiste des personnes sans-abri à Vienne, bien qu'il soit très difficile de le quantifier. Afin de lutter contre ce phénomène, nous avons lancé des initiatives pour lutter contre le sans-abrisme par exemple, en particulier dans les situations impliquant des enfants. Selon la Convention relative aux droits de l'enfant, nous devons faire attention car les enfants ne doivent jamais perdre leur lien avec l'éducation, le bien-être social, l'alimentation ou les services de santé.
Nous essayons de prendre soin des familles et de les mettre en lien avec les services de l’Education. En hiver notre ville propose également un abri et de la nourriture appelée « forfait hiver » afin de protéger les personnes sans-abri des températures extrêmes.
Q5 : En mai 2018, Vienne a accueilli la Conférence « Vienne +25 » pour célébrer le 25e anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Vienne. À cette occasion, et face à des représentants des Nations Unies, le maire de Vienne a souligné l’importance des gouvernements locaux pour promouvoir et protéger les droits de dans un monde globalisé et urbanisé. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette conférence ?
En tant que Commissaire aux Droits Humains, j'ai participé dès le début à la planification de cette conférence. De notre municipalité, nous avons pensé que le mieux serait de l'accueillir à la Wiener Rathaus - Hôtel de ville de Vienne. Cinq ans après la Conférence de Vienne +20 (2013), Vienne elle-même avait devenue une ville des droits humains. C'était donc un signe de notre engagement.
La Conférence Vienne +25 a été très importante car, pour la première fois, la municipalité a pris une importance capitale en tant que partie prenante de la politique sur les droits humains. Les sujets abordés ont clairement exprimé le lien avec les compétences des gouvernements locaux, comme la promotion de l’égalité ou la sécurité. Nous sommes des acteurs primordiaux pour permettre l’accès aux services publics locaux et pour promouvoir l'inclusion sociale de tous, dans une société diversifiée.
Lors de la Conférence, nous avons également abordé les politiques de sécurité sous l’angle des droits humains.
Au-delà du terrorisme et de la criminalité : comment la population peut-elle se sentir totalement en sécurité ? Par exemple, un enfant peut-il rentrer seul de l'école, grandir sans peur et avoir accès à l'éducation, puis au marché du travail, à l'avenir ? Il s’agit également du lien de confiance aux autorités locales : si je suis au chômage, existe-t-il un système de soutien ? Si je ne peux pas payer mon appartement temporairement, puis-je recevoir de l'aide ?
La confiance est la chose la plus importante dans une ville et cela devrait être une ligne directrice pour notre approche de la sécurité.
Q6 : A travers votre participation au Forum européen sur la sécurité urbaine (EFUS) vous avez développé de nouvelles approches de la sécurité urbaine prenant en compte les droits humains, pouvez-vous en préciser les contours ?
Effectivement, Vienne est un membre actif du Forum européen sur la sécurité urbaine. Grâce aux débats organisés dans le cadre de ce forum, nous avons pu dialoguer avec les forces de police de différentes villes et de la communauté d’experts et engager des discussions sur la sécurité urbaine dans des domaines tels que la lutte contre la discrimination, l’égalité ou la dé-radicalisation.
La radicalisation ne concerne pas seulement un phénomène religieux, il existe en effet différents types, par exemple contre les personnes LGTBI ou la montée de l'extrême de droite… Je pense que nous devons envisager ce phénomène sous un angle plus large.
En fait, nous prévoyons de créer un groupe de travail sur ce sujet afin d’aider les gouvernements locaux à introduire l’approche fondée sur les droits dans leurs politiques en matière de sécurité urbaine.
« Au-delà du terrorisme et de la criminalité : comment la population peut-elle se sentir totalement en sécurité ? Par exemple, un enfant peut-il rentrer seul de l'école, grandir sans peur et avoir accès à l'éducation, puis au marché du travail, à l'avenir ? Il s’agit également du lien de confiance aux autorités locales : si je suis au chômage, existe-t-il un système de soutien ? Si je ne peux pas payer mon appartement temporairement, puis-je recevoir de l'aide ? La confiance est la chose la plus importante quand on vit dans une ville »
Shams Asadi, Commissaire aux droits humains de Vienne
Q7 : Pourquoi pensez-vous qu'il est important que les gouvernements locaux promeuvent des initiatives dans le domaine des droits humains tant dans leur action locale qu’à l’international ?
L'échange de points de vue est important au début, mais nous devons ensuite définir certaines actions prioritaires à mettre en œuvre ; au-delà de ce que nous apprenons les uns des autres, nos actions doivent avoir un impact réel. La mise en réseau, les échanges et les débats sont bons, mais ne suffisent pas, il faut également mettre en œuvre concrètement, étape par étape, pour donner plus de sens à notre expérience et ce que nous avons appris. De mon point de vue, la mise en œuvre des droits représente la défense de l’égalité et de la dignité pour tous. Les valeurs des droits humains sont pour tout le monde et nous aident à vivre ensemble et à respecter chacun d’entre nous.